GERMIGNY-L’EXEMPT : COMPTE-RENDU DE SYLVAIN GOUGUENHEIM DANS LA REVUE LE MOYEN ÂGE DE L’UNIVERSITÉ DE LIÈGE
Emmanuel Legeard, Germigny-l’Exempt ou Les Trois Deniers de Gaspard. Six essais autour d’un monument d’art et d’histoire, Paris, L’Harmattan, 2022; 1 vol., 187 p. (Historiques, Série « Travaux »). ISBN : 978–2–14027–811–2. Prix : € 20,50.
Le livre qu’Emmanuel Legeard a consacré à l’église de Germigny-l’Exempt rassemble cinq essais dont le quatrième est le plus développé et offre une synthèse extrêmement claire. Les quatre autres traitent de points particuliers, historiques ou artistiques. Il y avait matière à tout regrouper en un seul tenant, quitte à réagencer l’ordonnancement des essais. Le village de Germigny correspond à un habitat très ancien du Bourbonnais. Doté d’un « donjon colossal » à la fin du XIe siècle, il a été donné par Louis VI — dont l’action est analysée dans le deuxième essai — à la maison de Déols avant de passer aux mains du duc de Bourgogne en 1210.
L’iconographie de Germigny est d’une grande originalité et porte un message complexe qu’E.L. décrypte. Les images médiévales des églises, commandées par des clercs lettrés et soucieux de théologie, n’étaient qu’en petite partie une « Bible pour les illettrés ». L’église est connue pour son clocher-porche haut de 35 m, symbole de l’affirmation de la justice royale au temps de Louis VI. Hors portail, une iconographie expose un lion infernal et des chats grimaçants, avant que l’on pénètre dans le narthex, dont l’obscurité évoque « la nuit noire du tombeau ».
Le « portail de cathédrale miniature », qui date du début du XIIIe siècle, inspiré de celui de Saint-Gilles du Gard et proche de celui de Laon, représente une Vierge en majesté, tenant l’Enfant Jésus sur son genou gauche. À la gauche sont représentés Joseph et l’Ange de l’Annonciation. L’Enfant a le regard tourné vers les rois Mages dont l’un apporte en don trois pièces, dont E.L. indique qu’elles ne peuvent être qu’en or, donc, à l’époque, d’origine arabe, évoquant la Terre sainte et le sang du Christ. Le lien est alors fait entre l’univers des croisades (marqué par le souvenir du détournement de la Quatrième croisade mais aussi par la croisade des Albigeois : Simon de Montfort leva en 1209 un cens annuel de trois deniers par feu en faveur de l’Église ), la soumission du pouvoir temporel à l’Église, incarnée par la Vierge, et l’importance du mystère eucharistique, porté par l’analogie courante à l’époque entre les monnaies et l’hostie et par le baldaquin surplombant la Vierge, symbole de l’autel eucharistique. Six anges remplissent l’archivolte ; ils symboliseraient les six âges du monde, mais aussi, avec le dernier âge, le nécessaire triomphe de l’Église devant laquelle les rois s’agenouillent.
Précise, bien informée, relevant des aspects ignorés, l’enquête d’E.L. aboutit à des conclusions convaincantes sur les changements combinés, ecclésiologiques et politiques, qui imprimèrent un tournant décisif dans l’histoire de l’Europe.