LE COMPTE-RENDU DE PIERRE SOMVILLE SUR GERMIGNY-L’EXEMPT

EMMANUEL LEGEARD
6 min readJan 16, 2025

Premier janvier 2024: un compte-rendu tardif sur Germigny-l’Exempt ou Les Trois Deniers de Gaspard vient de tomber en forme de verdict… élogieux. Il s’agit de celui rédigé par l’académicien Pierre Somville, professeur très renommé d’esthétique et de philosophie de l’art à l’Université de Liège et à l’Institut royal d’histoire de l’art et d’archéologie, et en sa qualité de philologue classique, collaborateur éminent de l’édition critique d’Aristote dans La Pléiade. Extraits:

J’épingle, pour le détail, trois vrais bonheurs (…):

⦁ L’appel à la Pharsale de Lucain pour préciser le sens d’un adjectif latin (p.50)

⦁ La brève et magistrale synthèse sur l’intimité romane et l’expression gothique (p.144–145)

⦁ Le récit de l’incendie de 1773 : trois vraies pages de roman dans un style digne de Chateaubriand (p.154 et sqq.) À lire et à relire. (…)

Ce livre, très original, est d’une grande force — comprenant de brillants excursus sur les tractations politiques (royales et féodales) avec Rome, sur l’apparition et l’évolution du numéraire — bref, il s’agit d’un ouvrage incontournable pour tout médiéviste, qui peut aussi intéresser, au sens le plus large, l’amateur de culture historique. Je le recommanderai volontiers comme modèle méthodologique à l’étudiant, futur historien, qui entame son apprentissage.

C’est avec étonnement que nous constatons que Pierre Somville emploie exactement la même expression singulière que Pierre Brunel il y a quelques années — dans un communiqué dont il peut difficilement avoir eu connaissance: “force et originalité”.

Là encore, si M. Legeard surprend parfois, c’est par des options qui ont le mérite de déranger nos habitudes. Certaines distinctions très pertinentes sont mieux que prometteuses. Tout est dominé par la question de la modernité, qui est peut-être, mieux encore, si l’on peut risquer ce néologisme, la question de la modernéité. La thèse de M. Legeard est marquante par sa force et son originalité“

Pierre Brunel, professeur à l’université Paris IV-Sorbonne, directeur des Cours de civilisation française de la Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France et de l’Académie des sciences morales et politiques.

Nous retrouvons, d’autre part, l’observation de Pierre Toubert concernant le sérieux méthodologique de Germigny-l’Exempt ou Les Trois Deniers de Gaspard:

C’est clairement un excellent travail dans lequel apparaît bien la double condition pour une réussite: avoir de bonnes sources et avoir une bonne capacité d’interrogation historique. […] Un travail bien pensé et bien écrit.”

Pierre Toubert, professeur d’histoire de l’Occident médiéval au Collège de France, spécialiste des structures féodales de peuplement, membre du Conseil scientifique de l’École des chartes et membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Par l’effet d’un désolant simplisme propre à leur indigence intellectuelle, d’aucuns ne manqueront pas de se poser une question qu’ils pensent — à tort, bien à tort! — légitime, c’est si, dans un pays qu’ils croient étouffé par les coteries politico-financières des “500 familles” qui régissent (ce qu’ils n’hésitent pas à appeler) “le biotope consanguin du 6e arrondissement”, la force et l’originalité ne sont pas des facteurs d’exclusion éditoriaux. Quand on parle des 500 familles, on n’est pas loin d’évoquer ce fameux “complot contre le peuple” imaginé par des cerveaux malades et dont le mythe a été savamment entretenu par des acteurs sans scrupules de la vie politique! C’est par ce type de rapprochements qu’on peut juger de l’absurdité et de la pauvreté d’une telle vision du monde. Naturellement, nous savons que des raisonnements de ce type sont très susceptibles d’être taxés de complotisme grâce à ce sain réflexe que le milieu incriminé a su propager dans la foule pour l’élever intellectuellement (autant que faire se peut). Nous nous rangeons donc résolument, en écartant ce genre de pensées indignes, du côté des détenteurs de la violence légale, dont la domination est naturellement souhaitable, comme le suggèrent les propos d’un grand, d’un immense écrivain-explorateur de notre temps, génie littéraire destiné à être coulé dans un bronze glorieux, éminence universelle dont les prestations (grâce à son mérite) vont de l’inauguration du Printemps des poètes à la réouverture de Notre-Dame de Paris.

Il est bien évident que personne n’est dominé par personne dans notre société fraternelle, et que les cabales n’existent pas. On n’en connaît même aucun exemple. En dehors de l’alibi que s’inventent les médiocres justement écartés de la vie sociale par leurs productions inférieures, les rares cas de grands écrivains qui prétendent en avoir été les victimes étaient typiquement — c’est parfaitement documenté — des cas psychiatriques relevant de la paranoïa la plus aiguë, comme Jean-Jacques Rousseau, dont on a depuis longtemps déconstruit les fantasmes de persécution (dénués de tout fondement), Léon Bloy [*] ou Edgar Poe, sur le génie de qui Baudelaire s’illusionnait certainement (d’ailleurs, Baudelaire lui-même, n’est-ce pas…) — sans compter les Beatles qui ne peuvent être pris au sérieux:

Semolina Pilchard, climbing up the Eiffel Tower; elementary penguin singing Hare Krishna, man, you should have seen them kicking Edgar Allan Poe.

Vraiment, cela veut-il seulement dire quelque chose? On est même consterné quand on pense qu’un professeur de philosophie américain, éditorialiste d’une revue intellectuelle de référence, a eu l’audace d’interpréter ces paroles aberrantes, visiblement écrites sous l’effet de quelque substance hallucinogène, par:

And the alleged ‘kicking’ of Poe, quite possibly at the feet of the UK police (above), is emblematic of how post-industrial civilization treats its artists. Like the egg men before him, Poe is the victim of ignorance and intolerance.

Je pourrais aller plus loin en indiquant que, selon la conviction de certains chercheurs parfaitement respectables, César n’a pas du tout été assassiné par Brutus, Cassius et les conjurés qu’ils avaient réunis, mais qu’il a bêtement glissé sur une savonnette gauloise oubliée dans l’escalier des Gémonies. Seule l’imagination de la populace, alimentée par un sinistre nationalisme, ou par un ressentiment de classe exploité à des fins politiques a permis à cette légende noire de se développer. Il est temps d’y mettre un terme.

Mais la nature même de ce billet montre à quelles extrémités le conspirationniste est réduit, à quelles contorsions il est obligé de se livrer pour composer ses improbables patchworks qui le discréditent d’entrée de jeu. Car, enfin: quels rapports y a-t-il entre Germigny-l’Exempt, Jean-Jacques Rousseau, Léon Bloy, Edgar Allan Poe et Jules César… Ce genre de fatrasies [**] montrent bien le degré de délire de ces illusions de persécution, d’exclusion, d’omerta. Pourrions-nous un instant, en toute lucidité, nous abandonner à l’idée fausse que dans notre méritocratie modèle — où seuls comptent le talent et la compétence! -, quelqu’un doué de force et d’originalité n’arriverait pas à percer? Alors qu’il suffit de traverser la rue!

[*] Bloy, Le Mendiant ingrat: journal de l’auteur, 1892–1895, 1898, p. 337. Au Prince Alexandre Ourousof, à Moscou :

“Cher ami, Voici ma nouvelle adresse… J’ai dû quitter, le mois dernier, un appartement convenable pour m’installer dans un tout petit pavillon glacé et insalubre, habitable seulement en été. Ce déménagement a coûté la vie au plus jeune de mes deux enfants, frappé à mort dès le premier jour. L’effroyable humidité du lieu a immédiatement saisi ce pauvre être déjà souffrant, que nous n’avons pu réchauffer, sans doute, comme il l’aurait fallu, et, une semaine plus tard, le 26 janvier, il expirait dans nos bras, à 4 heures du matin. Je pense, mon ami, que le simple énoncé de cet évènement doit me dispenser de phrases et de commentaires. C’est un noir chapitre de plus à ma vie noire, et la douleur d’un homme tel que moi doit être pudique. J’ai pu trouver l’argent des funérailles. De quoi me plaindrais-je ? Les Cochons, ne pouvant m’exterminer, ont réussi, du moins, à tuer mon petit garçon. Grande joie pour eux, s’ils l’apprennent. Mais ils ne savent pas qui je suis, ni ce que je suis, les sales démons! et que les comptes seront réglés exactement, un certain jour. Votre LÉON BLOY.

[**] Marie-Paule Berranger, Les Genres mineurs dans la poésie moderne, Presses universitaires de France, 2004, p. 67 : “‎La tradition rhétorique définit en effet l’adynaton comme une incompatibilité sémantique matérialisée dans l’énoncé d’un objet impossible. La fatrasie médiévale en est la forme poétique développée , puisqu’elle se construit sur l’énumération de semblables aberrations logiques.” On notera, sans surprise, que I am the walrus, que nous citons ici à l’appui de notre démonstration répond parfaitement à cette définition: il est totalement abusif de chercher à déceler quelque “sens caché” que ce soit.

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EMMANUEL LEGEARD
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Written by EMMANUEL LEGEARD

HISTORIAN. Ph.D. with highest distinction from the University of Paris (La Sorbonne). https://www.germigny.com

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